Auteur : Ben Wawe
Date de parution : Janvier 2009
Le ciel est lézardé d’éclairs électriques bleutés, apparaissant et
disparaissaient avec une précision d’horloger. La lueur du soleil n’est
plus qu’un lointain souvenir depuis l’avènement des nuages noirs, signes
avant coureurs de la catastrophe qui nous rappellent désormais combien
nous avons été stupides. On ne voit pas à deux mètres et mes chaussures
baignent dans de la boue putride, composée à la fois de résidus de la
terre mais aussi de déchets chimiques laissés là sans explication et de
quelques ruines humaines ayant eu la mauvaise idée de dormir par ici.
Mon briquet fait apparaître une pointe d’espoir qui disparaît bien trop
vite et la cigarette ne peut logiquement pas prendre son relais : rien
ne peut éclairer longtemps les ténèbres. Je suis James Baxton et tout ce
qui pouvait être merdé dans le monde l’a été. Bienvenue chez moi.
Lentement, je m’envole mais plus personne ne crie mon nom, que ça soit
par peur ou par excitation. New York n’est plus qu’un dépôt d’ordures
pour les rares entreprises existant encore et plus personne n’y vit –
d’important, évidemment. La ville est remplie de marginaux, de
désespérés, de laissés pour compte que l’Amérique ne compte même plus :
ça n’en vaut plus la peine. Leur durée de vie est inférieure à trente
ans et ils ne sont de toute façon d’aucune utilité. Pourquoi s’en
occuper alors ? Les maladies et la pauvreté les auront avant qu’ils ne
servent à quelqu’un. Cynisme froid mais réalité bien évidente,
malheureusement.
Je ne porte plus de costume, ça n’en vaut plus la peine. Pour plaire à
qui ? Pour faire peur à qui ? Les gentils sont morts et les méchants
sont partis. Les rôles ont changé depuis la vieille époque et le monde
n’est plus le même. Les instants où je combattais avec la Ligue pour
stopper ceux qui voulaient éradiquer la race humaine ou s’enrichir sur
son dos sont loin et je me demande certains jours s’ils ont bien existé.
C’est un phénomène courant chez les rescapés : on a l’impression que le
monde a toujours été ainsi, que les beaux jours n’ont été que des
rêves. Malheureusement, ça n’est pas le cas.
On a eu de bons moments, on a eu notre chance mais on l’a gâchée. On a
détruit la planète à petit feu en donnant le pouvoir à ceux qui le
demandaient mais n’en étaient pas dignes. La planète ne l’a plus
supporté mais s’est cassée avant de nous chasser de sa surface. Nous
vivons sur un monde mort et nous l’avons bien cherché.
L’effet de serre n’a été que le début de l’horreur et les chercheurs
avaient raison. L’Afrique est un enfer monstrueux, comme toutes les
anciennes régions jadis chaudes – elles sont désormais invivables et des
milliers de personnes y sont mortes de déshydratation voir pire. Des
tornades naturelles, chargées de chaleur, créées par cet environnement
terrifiant et tout sauf naturel, se sont déchaînées pour achever ceux
qui n’avaient pas fui assez vite. Les gens ont alors regardé pétrifié ce
qu’ils se passaient, suivant sur les satellites et les chaînes de
télévision l’évolution des morts et leurs causes toujours plus
sanglantes et dégoûtantes. On s’est alors demandé ce qu’on pouvait faire
pour arrêter mais c’était trop tard ; on avait joué avec le feu et tout
le bras était perdu maintenant, pris par des flammes qui ne pouvaient
s’éteindre.
Pendant quelques années, la Sibérie a été un paradis pour tous les
exilés assez riches pour s’y payer quelques places tandis que des
grandes villes comme Paris ou même Londres devenaient des dignes
représentantes du climat de l’ancienne jungle amazonienne. Les gens ont
recommencé à vivre normalement, survivant dans ces nouvelles conditions
en en tirant les bons côtés ; après tout, il faisait enfin beau en
France par exemple et New York avait vraiment le droit de dire que la
ville était un enfer. Mais ça n’a pas duré.
La Nature a repris définitivement ses droits alors qu’on pensait que
tout allait se stabiliser. Les savants avaient beau dire que ça n’avait
été qu’une pause, qu’un break dans une partie perdue d’avance mais on
avait recommencé à reprendre nos vieilles habitudes de se dire qu’on
pouvait survivre à tout. On avait tort ; seuls les cafards font ça et
ces sales bestioles sont encore là. Comme moi.
J’ai souvent pensé à mes ressemblances avec les cafards : on est tous
increvables, on survivra toujours à tout. J’ai vu mes amis mourir, j’ai
survécu à l’enfer et j’ai même foncé dans le cœur d’une tornade pour en
ressortir indemne. Je suis quasiment immortel et c’est peut-être mon
fardeau sur Terre – ma punition. Pour ce que j’ai fait et surtout ce que
je n’ai pas fait.
Je n’ai pas agi comme il le fallait, en fait. Et alors que je survole
les restes de Manhattan, mon cœur se serre quand je me rappelle la
Guerre, celle qui a réduit ce monde à ce qu’il est. Les gens n’ont pas
fait attention au climat qui se déréglait parce qu’ils étaient occupés à
s’entretuer, comme toujours. L’Homme n’a jamais rien su faire de mieux
que de mettre fin à son existence : on a toujours répété ça mais on n’y a
jamais pensé. Maintenant, il est trop tard ; l’Homme s’est exterminé
lui-même et a détruit en plus son propre nid. L’Homme est définitivement
au dessus de la chaîne alimentaire.
Au fond, je voudrais pleurer en voyant des enfants frapper un des leurs
pour le mettre à mort et vendre son cadavre aux entreprises s’occupant
de l’extermination des corps qui paye si bien ceux qui en ramènent des
nouveaux mais je n’ai plus de larme, elles ont toutes déjà coulées. J’ai
combattu autant que je pouvais le Mal, j’ai vaincu des monstres sans
nom et j’ai été l’allié des plus grands héros que cette planète ait
compté mais jamais je n’ai vu venir cet affrontement si terrible.
J’aurais dû, pourtant ; mais j’ai été trop naïf et trop occupé à régler
mes petits soucis personnels.
Après tout, maintenant, quelle est l’importance d’un casier judiciaire ?
Ou d’une identité secrète ? Je me suis battu pour protéger tout ça,
pour récupérer ce que j’avais perdu et quand j’ai relevé la tête en me
demandant ce qu’il y avait maintenant à faire, la chance était passée.
Le monde lâchait dans un souffle rauque une dernière expiration brutale
et des milliers de personnes mourraient. Et j’en étais responsable.
Mes pouvoirs me rendent supérieurs à la norme humaine, voir même
surhumaine mais je n’ai pas été à la hauteur. Que ça soit mes exploits à
la Ligue ou en solitaire, ils n’ont toujours été rien par rapport à ce
que j’aurais vraiment dû faire pour le monde. Les gens avaient foi en
moi, me faisaient confiance mais quand ils ont vraiment eu besoin de
moi, je n’ai pas agi comme je le devais. J’aurais dû mettre fin à la
Guerre dès le début mais j’avais encore foi dans les institutions de mon
pays – j’avais foi en son peuple, qui ne pourrait pas toujours accepter
ce qu’il vivait. J’avais tort.
Nous n’aurions jamais dû l’élire ; nous n’aurions jamais dû laisser le
pouvoir à une telle personne, qui se le laisserait prendre si facilement
par ce monstre. Il m’était impossible de songer à ce qu’il ferait en
étant aussi proche de la fonction suprême mais…mais j’aurais dû. J’étais
Steelman, j’étais le plus grand héros de New York et les gens me
faisaient confiance, malgré toutes les campagnes contre moi. J’aurais dû
le réduire à néant avant qu’il ne le fasse avec le monde.
Je survole la baie, désormais asséchée. Le fleuve n’est plus qu’un
lointain souvenir et même les cadavres de poissons ont désormais
disparus – je ne veux pas savoir comment. Les gens sont tellement
affamés ou tellement désespérés qu’ils en sont arrivés à des extrémités
terrifiantes, la faute à tout ce qui leur est tombé dessus. Les orages
électriques comme celui-ci sont destructeurs, et je ne parle même pas
des multiples sécheresses ou attaques d’animaux rendus fous par tout ça.
Le monde n’est plus que l’ombre de lui-même et on doit assumer, mais ça
n’est pas simple.
L’Amérique du Sud m’est inconnue et je n’ose pas y aller, pas après
toutes les histoires que j’ai entendues dessus. C’était déjà une région
chaude avant mais toutes les modifications climatiques l’ont rendu très
dure à supporter – trop pour les survivants. Comme à la vieille époque,
des pauvres hêtres ont tenté le passage aux Etats-Unis dans l’espoir non
plus d’une vie meilleure mais d’une vie tout court ; malheureusement,
ils n’ont trouvé que la mort.
Les gens se referment sur eux quand ils sentent que tout ce qu’ils ont
peut disparaître et là les Américains l’ont fait d’une façon totalement
inhumaine : ils ont laissé les autres mourir à leurs portes, sans
bouger. Ça ne les a pas sauvés des catastrophes mais les âmes des
défunts ont dû se sentir vengées. Je n’ai pas pu crier ou pleurer devant
ce spectacle : je ne savais pas moi-même ce que j’aurais fait et
pourquoi je restais aussi immobile devant la souffrance humaine. Plus
que jamais ce jour-là, je me suis senti seul et désespéré – mais
toujours aussi inutile.
Que dire du reste du monde ? J’ai voyagé un peu partout, ne rencontrant
toujours que les mêmes spectacles pathétiques et tristes. L’Europe a
mieux survécu mais est désormais une contrée sans loi, alors que la
Russie est devenue par sa Sibérie si forte la dernière place vraiment
forte sur Terre mais personne n’y a accès. Les portes sont scellées et
les Russes ne veulent pas les ouvrir pour garder ce qu’ils ont pour eux ;
comment les blâmer ? Nous sommes destinés à mourir, autant que ça soit
dans les meilleures conditions. La morale et l’éthique sont devenues des
concepts flous avec le temps.
Je laisse tomber ma cigarette alors que je suis loin au-dessus des
ruines de la ville, ne pouvant contempler plus cette agonie sans cesse
grandissante. J’ai plus de quatre-vingt ans maintenant et le monde s’est
détruit en si peu de temps…personne n’a rien vu venir. Le climat s’est
détraqué en une fraction de secondes et nous étions trop occupés pour le
voir. La Guerre nous prenait tout notre temps mais même avant, même
quand nous jouions aux héros nous ne nous sommes rendu compte de rien.
J’ai eu le temps de penser à ce que j’aurais pu faire pour que ça se
passe mieux et je traîne des dizaines de regrets, mais mon plus grand et
la plus forte interrogation de mon existence est celle de savoir
comment tout ça se serait passé si la Ligue avait mieux tournée. Elle
était partie d’une bonne idée mais John en avait trop fait à son
habitude et elle a implosée avant de vraiment pouvoir servir à quelque
chose.
Je suis certain que nous serions parvenus à l’arrêter avant qu’il ne
fasse trop de dégâts si nous étions restés soudés, si nous n’étions pas
partis de notre côté. Notre division n’a fait qu’accentuer sa liberté
d’action et je me souviendrais toujours des cris de Barry quand il vit
le corps de sa mère ou les larmes de Donna quand elle perdit ses mains.
Donna…toi non plus, je ne t’ai pas sauvée alors que j’en avais fait le
serment. J’ai détruit des chars pour te venger, raser une région entière
pour trouver le responsable mais ça ne t’a pas ramené ; je n’ai fait
que plonger un peu plus dans le chaos et je sais que ça n’était pas ce
que tu voulais. Tu rêvais d’un monde pur et beau sur lequel tu pourrais
vivre heureuse et j’avais promis de te le donner. Tu n’es plus là mais
j’arpente toujours ce sol que je n’ai pas réussi à protéger. J’ai
failli.
Sans que je m’en rende compte, je vole jusqu’à ce qui reste du New
Jersey, nouveau terrain de jeu de ce qui reste des Atlantes. Chassés des
eaux par leur température extrême et la pollution qui y règne
maintenant – après que les dernières entreprises capitalistes aient tout
déversées dedans pour cacher leurs activités lors de la chasse aux
sorcières de la Commission Stacy contre les pollueurs de tout poil quand
la situation était trop catastrophique pour continuer l’hypocrisie
politique établie depuis des décennies – ils ont trouvé refuge ici et en
ont fait un Etat de droit, comme un peu partout d’ailleurs.
Ils survivent en tentant de réapprendre à respirer comme les êtres
humains et avec un peu d’eau tirée de vagues puits souterrains. Les
pauvres : toutes les nappes phréatiques sont polluées ou bien trop
chaudes pour être utilisables, si elles n’ont pas déjà disparues. L’eau
pure a quasiment disparu de la surface de la planète et nous devons nous
intoxiquer à chaque gorgée pour survivre. Boire du poison et mourir
lentement ou ne pas en boire et mourir lentement : c’est ça le choix de
l’Homme du XXIe siècle. C’est ça notre vie.
Je me pose sans faire attention, loin d’un campement d’Atlantes, au
milieu des ruines de ce qui était jadis une grande autoroute. Je ne sais
pas quoi faire, comme chaque jour. Dois-je aider des gens à survivre un
jour de plus en sachant que c’est vain et un peu sadique ? Ou dois-je
les laisser mourir à petit feu en passant pour un monstre – et en
l’étant un peu malgré moi ?
Je ne sais pas. Je ne sais plus grand-chose à propos de moi, en fait. Je
suis le dernier « super-héros » de cette planète mais ça fait bien
longtemps que je ne sauve plus personne. Je n’ai pas réussi à faire ça
pour mes proches et pour moi-même, qui serais-je pour tenter quelque
chose du genre pour autrui ? J’ai gâché assez de vie pour arrêter ça.
Evidemment, je n’ai pas toujours pensé ça : j’ai voulu changer les
choses, jadis. Même pendant la Guerre, je me suis battu pour que tout
finisse bien. J’ai tué – beaucoup – pour ça et je ne regrette pas
grand-chose. J’y croyais, j’avais la flamme sacrée. Des dizaines
d’ennemis pouvaient nous foncer dessus que je m’en occupais et que je
sauvais les copains. Je savais que notre cause était la bonne et que ce
monstre devait être arrêté.
J’étais le candidat idéal pour la mission ultime : j’avais les capacités
les plus complètes et j’étais motivé. Je voulais stopper ça, tout
simplement, et j’étais prêt à tout pour ça. Mais comme avec Donna, comme
avec tous les autres, j’ai échoué.
Le vent glacial frappe mon visage ridé, caressant sans douceur mon crâne
chauve. Je suis vieux et fatigué ; mes amis sont morts par ma faute,
l’ennemi a gagné mais pour quoi ? Quel a été le prix final de tous ces
sacrifices ? Une planète morte. Il n’a pas osé régner dessus, il a eu la
décence de mettre fin à ses séjours dès sa victoire acquise. Pour
beaucoup, ça a rendu tout ça terriblement pathétique et insensé mais
moi, je sais que ça avait du sens. Je sais pourquoi il a fait ça – et je
le comprends.
C’était un monstre qui a ravagé la planète, mettant le feu à chacune de
ses régions mais il n’a fait ça que pour le plaisir de gagner. Il
voulait être le Maître, il voulait faire sortir le Mal de chacun de nous
et il y est parvenu. Ça n’est pas vraiment le fait que nous ayons
perdus la planète qui est grave – c’est que nous avons perdus nos âmes
dans ce combat.
Nous nous sommes laissés aller à son niveau sans penser une seule
seconde aux conséquences et après avoir guerroyés des années, après
s’être rendus compte de la futilité de tout ça…nous n’avons rien su
faire pour la Terre mais aussi pour nous-mêmes. Tous les systèmes
étaient anéantis et inappropriés, les héros étaient morts et les hommes
forts des monstres sans conscience. Que pouvions-nous alors attendre de
la vie ? Rien et c’est ce que nous avons encore aujourd’hui.
Comme tous ceux vagabondant sur cette terre des damnées, je ne suis
qu’un ersatz d’être humain, bien loin de la grandeur des anciens qui
savaient au moins se fixer des limites. Jamais eux ne seraient allés
jusqu’où nous nous sommes trouvés durant la Guerre ; jamais ils
n’auraient sacrifiés le monde pour une conquête de plus. Même si la
plupart des généraux étaient des bouchers, ils voulaient retrouver un
foyer quand ils revenaient. Nous avons oubliés cet aspect et quand nous
nous sommes retournés pour nous reposer, il n’y avait même plus un lit
propre pour ça. Nous avions tout perdu sans même le savoir.
Mais encore une fois, je ressasse le passé et déprime sur ce que
j’aurais dû faire – je deviens vraiment vieux et pathétique. Jadis,
j’aurais ri de moi mais je n’ai plus le cœur à ça. Des gens meurent
autour de moi et je ne peux rien y faire…enfin, j’essaye de me
convaincre de ça. Celui qui a déclenché tout ça n’a pas eu le cœur de
continuer à vivre après avoir découvert que gagner continuellement pour
finir à n’avoir plus personne à qui combattre était logiquement dénué de
sens. Il a décidé de lui-même de faire ce que tout le monde rêvait mais
ça n’a rien changé. Ça n’a rendu que les choses pires.
Le chef tombé, tous ses lieutenants ont essayé de reprendre son trône et
le monde s’est jeté dans une guerre de clans qui ne passionnait
personne. Rapidement, les pseudos leaders se sont retrouvés seuls à se
combattre alors que leurs armées erraient, sans but et sans envie.
Chacun recherchait la protection des anciens temps, la sûreté des
institutions et des lois mais tout ça nous avait abandonné – nous
l’avions abandonnés, en fait. Et nous, derniers « héros », nous n’avons
pas été à la hauteur pour reprendre le flambeau et proposer une réponse
adéquate.
Oh, certains ont essayé et j’ai entendu que Chicago s’en sort un peu
mieux que d’autres, mais ne nous voilons pas la face : ça n’est que
temporaire, ça ne tient que sur une personne ou ses descendants et le
temps viendra bien vite où tout ça s’écroulera à nouveau.
L’Humanité s’est jetée dans la guerre et la colère, sacrifiant tout sur
son passage pour accéder à la sauvagerie dont nous avions besoin pour
combattre notre ennemi ; malheureusement, il nous a complètement vaincus
avec son dernier tour et personne n’a pu vraiment s’en relever. Depuis,
le monde se laisse lentement mourir et l’Homme d’aujourd’hui se demande
si les temps anciens, ceux dont ses parents lui ont tant vanté les
bienfaits les larmes aux yeux, a vraiment existé. C’est là sa plus
grande victoire – et ma plus grande défaite.
Au fond, je n’ai jamais été le héros que j’aurais dû être. Avec mes
pouvoirs, j’aurais pu changer les choses mais je n’ai fait que parer au
plus pressé – je n’ai pas été à la hauteur. Je croyais tout pouvoir
repousser au lendemain, espérer avoir une vie privée mais je me
trompais. Quand on est touché par la Grâce comme moi, quand on a une
telle responsabilité, on ne doit pas perdre son temps à vouloir être
heureux : on doit aider les autres, point.
Certains d’entre nous l’avaient compris et avaient voulus me
l’enseigner, comme Wayne, mais ils sont morts avant d’y parvenir.
Peut-être que s’il avait vécu, les choses auraient été différentes –
peut-être que lui aurait pu voir son double jeu et l’empêcher d’arriver
au pouvoir suprême.
Soudain, je sens une perturbation dans l’air. Depuis le temps que je
vis, mes pouvoirs se sont un peu diversifiés et j’ai apparemment une
sorte de sixième sens qui me permet de percevoir le danger ; il m’aurait
été plus utile jadis mais la vie est mal faite, hein ? En tout cas, je «
sens » que quelqu’un m’attaque avant d’entendre sa respiration et je
peux tranquillement me retourner pour le prendre à la gorge. Mes doigts
ridés entourent son cou et il halète déjà alors que mes yeux ne se sont
même pas posés sur lui. Amateur.
« Qu’est-ce que tu me veux ? »
J’ai envie de presser rapidement pour qu’il meure. Je connais ce type,
ou plutôt je sais qui l’envoie : c’est un Lantern. Habillé de vert,
entièrement, un tatouage en forme de lanterne sur le crâne, il est
l’archétype du sectaire et c’est exactement ce qu’il est. Depuis toutes
les catastrophes, le Corps a drainé énormément de monde, des gens
cherchant un but dans la vie ou au moins quelqu’un leur disant ce qu’il
faut faire. Avec tout ce que j’ai vécu, je sais maintenant que
l’Humanité n’est pas libre : elle se cherche toujours un modèle, un
meneur. C’est triste et pathétique mais toutes les générations ont
toujours suivi ce schéma ; apparemment, même à la fin du monde, l’Homme
se réfugie dans ses vieux réflexes.
Celui-ci n’a pas d’anneau et ne semble même pas avoir le début de feu
sacré en lui. Si j’en avais quelque chose à faire, je serais presque
déçu qu’on m’accorde si peu d’importance. Je presse encore un peu avant
de relâcher la pression pour qu’il respire et me réponde.
« Je…le maître…il veut te voir…affaire…importante…
- Le maître ? Ton maître ?
- Oui…main…maintenant… »
J’ouvre totalement ma main et il tombe lourdement sur le sol ; je m’en
fiche. Sans entrain, je prends une nouvelle cigarette, l’allume
lentement tout en lui lançant un regard sombre. Il se masse la gorge et
veut sûrement se venger de l’humiliation que je lui ai fait subir mais
il n’ose pas m’attaquer, par peur de son maître. Petit imbécile, c’est
de moi qu’il devrait avoir peur.
« Ok. Allons voir ton maître. Allons voir Parallax. »
Sans envie, je m’élève et jette un dernier regard à la larve qui m’a
sautée dessus et qui a voulu me passer un message brutal. Je ne vais pas
aimer ce que je vais découvrir au Corps, je le sens.
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